Une croisière en TenderCat, courte mais pleine d’enseignements
Quelques jours avant le départ du 37e tour de la Martinique des yoles, je propose à Mamilou une petite expédition vers Port Cohé, distante d’environ 3 milles nautiques, au vent. Mon but est d’y prendre des photos et, peut-être, de rencontrer quelques yoleurs avisés, avant de me lancer dans la rédaction de deux articles sur le thème du Tour de la Martinique. Au fond de l’immense « Cohé du Lamentin », tapis dans une mangrove bien dense, un autochtone m’a soufflé à l’oreille qu’ici, il pourrait être aisé de glaner d’utiles informations.
Hélas, les divinités qui président à la construction de ces majestueuses embarcations s’avèrent bientôt hostiles à mon projet
Depuis le début de la semaine, notre « projet du jour », défini la veille au soir, a été : « demain, c’est, direction Port Cohé, à la rencontre de “contructeurs de yoles”. Et chaque matin, des écueils divers et variés faisaient capoter le projet qui était différé au jour suivant… Entre le risque de pluie, une averse soudaine au moment de partir, un vent plus fort qu’annoncé, un “truc à finir”… le retardement était systématique !
Mais, là, on est vendredi, alors il va falloir se décider…
Allez, on se lance ! Le clapot n’est pas trop rugueux, on y va en TenderCat ! Elle est équipée d’une propulsion électrique. Le taux de charge de la batterie affiche un rassurant 90 %. Et, ce n’est pas ce minable grain mou, intervenu pendant notre collation matinale, qui va freiner notre enthousiasme de septuagénaires enjoués…
10 h 30 : Nous appareillons, gais comme des pinçons ignorant l’orthographe…
Et, tout va bien, comme prévu… Évidemment, le clapot est un peu plus mouillant que dans nos rêves, mais ça, c’est seulement à cause du vent qui est aussi plus fort que les prévisions… Subséquemment, la vitesse s’en ressent également, mais voilà : on n’est pas pressés. Aussi, l’aventure (car, c’en est une…) se poursuit dans la joie et la bonne humeur.
Bientôt, la brave TenderCat ne se trouve plus qu’à quelques centaines de mètres du but
“Fabricants de yoles de compétition, concentrez-vous, car Domi arrive pour enquêter. Ceci afin de révéler, sans tarder, au monde entier, les finesses de constructions de vos bolides des eaux martiniquaises”.
Toujours à l’affût d’une information stratégique majeure, Mamilou lance au vent :
“Question autonomie, on en est où là ?”
Interrogation pertinente s’il en est, immédiatement assortie d’une réponse claire et précise, survenue après un rapide coup d’œil au cadran de la machine magique : “il reste 65 %”. Voilà Mamilou rassurée et son antique capitaine, un peu aussi. Le soleil ne fait rien qu’à briller et son cancer de la peau se sent ridicule, sous sa couche de crème de protection, devant l’imminence de l’arrivée à bon port.
Encore 3,5 minutes de quiétude béate et la croisière se décide à prendre une tournure plus “aventureuse”
Un moteur électrique, ça n’est pas très bruyant… À peine un petit chuintement pour distinguer qu’on n’est pas à l’arrêt. Cependant, là, ce qui se passe, tout à coup, soudainement, c’est un silence fort peu rassurant qui succède à sa précédente discrétion… Le bazar est devenu parfaitement muet ! Mutisme intégral et étrangement sépulcral ! Le cadran de contrôle arbore, à présent, cette indication totalement dénuée de poésie: “Erreur 206”.
Ne nous voilons pas la fesse, nous sommes, ce que nous appelons dans notre jargon “en panne”
Je sais, c’est un peu brutal, comme conclusion, mais, soyons honnête, c’est bien de cela qu’il s’agit… Que faire, à présent ? Comment affronter fièrement et sans mollir ce terrible coup du sort ? Notre sens du devoir de vacances nous souffle rapidement aux oreilles ce leitmotiv qui guidera nos actions, face à cette douloureuse adversité : “Faut se démerder sans rien demander à personne, sinon, nous aurons légèrement l’air couillons”. Ce n’est pas faux.
Mamilou, toujours royale et sereine dans les moments les plus tragiques, informe qui veut l’entendre de son point de vue
“Faisons demi-tour et on rentre tout de suite”. Peut-être ce jugement dramatiquement rapide est-il destiné à la mettre à l’abri d’une hypothèse du genre : “on pourrait continuer à l’aviron jusqu’à Port Cohé qui n’est plus qu’à 300 mètres… Et, après, on verra…”.
Quand Mamilou a décidé un truc, je ne prétends pas qu’il soit impossible de lui faire changer d’idée… Par contre, j’affirme qu’il faut être terriblement motivé et armé d’arguments en platine iridié, genre “Pavillon de Breteuil”
Une demi-seconde plus tard, je m’entends répliquer : “Tu as raison ma pépette, on rentre…”
Ainsi, en l’espace d’une poignée de minutes, cet alizé gentillet qui freinait notre progression avec sa douzaine de nœuds dans le pif, nous propulse, à présent, à un petit 1,2 nœud, sans rien faire, juste avec le fardage, la « prise au vent » comme qui dirait… « Dans moins de 2,5 heures, nous y serons« … Bof, pas terrible, mais c’est mieux que rien. D’autant qu’il me vient bientôt quelques idées qui permettent de doubler cette vitesse.
Debout à l’arrière, chacun dans sa coque, la TenderCat file, à présent à plus de 2 nœuds
Elle nous fait même des pointes à 2,6 lorsque nous dressons nos avirons au ciel, pour augmenter notre fardage. Malgré cet éclatant succès, une légère préoccupation nous agite encore un peu les neurones. Et si quelqu’un nous croit en difficulté et vient nous indisposer en proposant du secours ? Comment éviter que des badauds ne s’emplissent la tête de concepts négatifs, à notre endroit, ruminant des mots comme “survivant”, “victime”, “naufragés”, “branleurs”, “inconscients”, ou que sais-je, d’autre ?
Encore une idée géniale pour sauver la face honorablement
Nous ne sommes pas en situation délicate, nous menons une expérience d’“autosurvivance en paddle-tandem”. Tous les deux campés sur nos tiges, nos corps font “voile” et nos avirons aussi lorsqu’ils sont érigés au-dessus de nos têtes. Parfois, deux ou trois “coups de pelles” dans l’eau rectifient le cap et renvoient l’embarcation sur sa route, à la manière d’un pilote humanoïde !
Petit moment de chauffe lorsqu’un remorqueur sort du port de commerce, devant nos étraves…
C’est pour se mettre à la disposition de ce cargo, apparu sur l’horizon depuis quelques instants et dont la silhouette se précise inexorablement… Il ne ferait pas bon présenter une gêne pour sa manœuvre à venir. Par chance, la batterie s’étant largement reposée durant notre épisode “voile sans voile”, elle accepte de reprendre du service, au dernier moment.
Alors, ni vu ni connu, nous parvenons à bon port dans un anonymat de bon aloi, comme qui revient d’une jolie balade sentimentale et apéritive
Un bonheur n’arrivant jamais seul, c’est justement l’heure de l’apéro…
Tout de même, que de “bêtises” commises lors de cette expédition ! Je n’avais apporté ni la deuxième batterie, ni la voile, ni un cerf-volant que j’ai toujours à bord en cas de besoin…
J’ai appris récemment que beaucoup de fabricants de véhicules électriques “trafiquent” leurs écrans de contrôles. Ils font croire, en début d’utilisation, à des niveaux de charge plus élevés que la réalité. Et puis, vers la fin, on passe de 20, ou 30, ou 40 %, à zéro en quelques minutes, quand on ne s’y attend pas.